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Mythe hittite n°1 Le mythe de Telepinu (CTH 324)

Le mythe de Télépinu (CTH 324)

 

Il existe dans la mythologie hittite un groupe de textes qui évoque le départ d'un dieu suite à une perturbation de l'ordre établi. Des mythes racontent ainsi le départ du dieu de l'orage, du dieu Soleil, de la déesse mère...

En général, dans ces mythes, un personnage (le roi, mais aussi un simple particulier) se trouve dans une situation de manque (d'enfants, de récoltes...) à cause d'un péché commis (cad d'un acte qui remet en cause le bon fonctionnement du cosmos, l'ordre normal des choses). Ce péché interrompt le cour naturel des choses et de la nature. Pour résoudre la crise, il est du devoir de l'homme de remettre les choses en l'état primitif.

 

Télépinu (fils du dieu de l'orage hatti) étant un dieu agraire, son départ (dont nous ignorons la cause, le début du texte n'étant pas préservé) engendre des déréglements climatiques et agricoles.

En l'état, le texte débute avec la colère de Télépinu et ses conséquences sur le climat, les récoltes et la nature. À l'occasion d'une fête organisée par le dieu Soleil, le père de Télépinu constate son absence et lance les recherches (via un aigle, puis lui-même), avant de se couvrir en signe de tristesse. La déesse-mère envoie alors l'abeille qui trouve Télépinu et le pique pour le réveiller (version 3).

La suite du texte se transforme en rituel, par lequel on cherche à apaiser Télépinu à l'aide de formules magiques et de la confection d'un chemin. Suite de quoi, le mythe reprend pour mettre en scène la déesse de la magie Kamrushepa qui emploie des incantations d'apaisement, sans doute prononcées en réalité par l'expert en rituel qui participe (le texte passe à la 1ère personne).

Finalement, Télépinu accepte de rentrer et de prendre soin du pays. Tous les bienfaits de la nature apparaissent alors dans une gibecière, dont on ignore l'usage puisqu'une cassure achève le récit là-dessus (un fragment laisse deviner que le roi l'attache à l'arbre, en échange de quoi Télépinu confère au roi « tout ce qui est bon »). Cette gibecière a été rapprochée de l'égide de la mythologie grecque.

 

Ces mythes de disparition ont parfois été rapprochés des mythes grecs de renaissance des dieux (Adonis, Attis) mais c'est un abus : le dieu hittite s'éloigne des hommes, il ne meurt pas. Il faut plutôt rapprocher ces textes d'une mentalité orientale où l'on voit Yahvé abandonner son peuple suite à ses péchés ou Marduk suite aux manquements rituels du roi.

 

Version 1 (CTH 324.1) :

 

Un début laculaire :

 

… entre … Et Telepinu … que … et Telepinu ... il fortifia sa ville … il ferma le verrou … de ce côté aussi … il retourna. … rien …

 

Colère de Telepinu et ses effets :

 

Le puissant Telepinu : … « Partez ! N'ayez pas peur ! » Il se mit en colère. Il fit tomber la droite (de son vêtement) à gauche et il ft tomber la gauche à droite. (Ensuite), il sortit de chez lui.

 

Le brouillard s'empara des fenêtres, la brume s'empara violemment de la maison. Dans le foyer, les bûches s'étouffèrent. Près des autels, les dieux s'étouffèrent. Dans l'enclos, idem pour les moutons. Dans l'étable, les bœufs s'étouffèrent. La brebis rejetta son agneau et la vache rejeta son veau. Telepinu partit (et) emporta (avec lui) le grain. Immarni, la croissance, la pousse (des végétaux) et la satiété ; (il les emporta) dans la steppe, la prairie (et) les marécages. Telepinu partit se cacher dans un marécage. De l'algue poussa sur lui. Suite à cela, l'orge (et) l'épeautre ne poussaient plus, le gros le petit bétail (et) les mortels ne concevaient plus et celles qui étaient pleines n'accouchaient pas. Les montagnes se desséchèrent, les arbres se desséchèrent si bien que les bourgeons n'apparaissaient plus. Les pâturages se desséchèrent ; les sources se desséchèrent. Dans le pays, la famine survint. Mortels et dieux mouraient de la faim.

 

La fête du dieu Soleil et l'inquiétude du dieu de l'Orage, père de Telepinu. Quête de Telepinu :

 

Le grand dieu Soleil fit une fête. Il (y) convia les mille dieux. Ils mangèrent, mais il ne purent se rassasier. Ils burent, mais ne purent étancher leur soif. Le dieu de l'orage pensa à son fils Telepinu (et dit) : « Mon fils Telepinu n'est pas là. Il s'est mis en colère et a emporté tout le bien. »

Les grands et les petits dieux se mirent à chercher Telepinu. Le dieu Soleil envoya l'aigle rapide, (lui disant) : « Va inspecter les hautes montagnes ! Inspecte les vallées encaissées, inspecte les flots bleux ! » L'aigle partit, (mais) il ne le trouva pas. Il fit son rapport au dieu Soleil : « Je ne l'ai pas trouvé, le puissant dieu Telepinu ».

Le dieu l'orage dit à la déesse mère : « Comment allons-nous faire ? Nous allons mourir de faim ! » La déesse mère dit au dieu de l'orage : « Fais quelque chose, dieu de l'orage ! Va toi-même chercher Telepinu ! »

Le dieu de l'orage se mit à chercher Telepinu. Il va à la porte de sa ville, (mais) ne réussit pas à l'ouvrir. Il (y) brisa son marteau (et) son pieu. Le dieu de l'orage … Il se couvrit (de son vêtement) puis il s'assit.

La déesse-mère envoya l'abeille, lui disant : « Toi, va chercher Telepinu ! » Le dieu de l'orage dit à la déesse mère : « Les grands (et) les petits dieux l'ont cherché. Il ne l'ont pas trouvé et cette abeille va le trouver ? Ses ailes (sont) petites, elle-même est petite ! En outre, on les sépare. »

 

Une autre version du mythe nous apprend le devenir de l'abeille :

 

La déesse mère répondit au dieu de l'Orage : « Assez ! Elle ira et le trouvera. » L'abeille s'en alla, elle se mit à ercher Telepinu par les fleuves, les sources, les hautes montagnes, les profondes vallées, la ombre mer bleue. Lorsqu'elle eut à peu près épuisé son miel et sa cire, elle le trouve dans un bois, près d'une prairie à proximité de la ville de Lihzina. Elle le piqua auc main et aux pieds et le fit se lever. Sur quoi, Telepinu s'écria : « Je suis furieux. Pourquoi lorsque je dors … que je suis en colère me force-t-on à parler ? (De colère), il fit s'arrêter les sourcces … il détourna le cours des fleuves et les fit sortir de leur lit ; il balaya les … il balaya les demeures, il détruisit les mortels, le gros et le petit bétail. Et les dieus se désespérèrent, (se demandant) pourquoi Telepinu était devenu encore plus furieux, (disant) : « Qu'allons-nous faire, qu'allons-nous faire ? » « Que l'on fasse appel à l'homme1 (dit l'un d'eux) … que sur le Mont Ammouna il prenne (?) … qu'il le fasse bouger, qu'il le fasse bouger en prenant l'aigle d'un aigle2. (traduction M. Vieyra, RPOA, p. 532-533)

 

La version 1 reprend un peu avant la fin de cet extrait :

 

… Il les détruisit, les rives des cours d'eau … Il rasa les villes … Il détruisit les mortels, il détruisit gros et petit bétail. … se lève. Les dieux … : « Telepinu s'est mis en colère. Comment allons-nous faire ? Qu'allons nous faire ? »

Il se lève. Appelez les mortels ! Qu'il prenne l'aiguille (et) … dans le Mont Ammuna. Que l'aigle s'avance et qu'il le/la brûle ! Il brûla … et l'aigle … de ses ailes. Il le/la … puis il …. Ils prirent la colère, ils prirent le courroux. Ils prirent sa faute, il prirent la rage. Il brûla … d'un côté et brûla … de l'autre côté. … les bons …

 

Lacune de 3 lignes

 

Rituels d'apaisement : formules magiques et confection d'un chemin pour guider le dieu.

 

Le mal …

Telepinu … . Il écrasa du malt (et) du pain de bière … Le bien …. il coupa la porte. Telepinu … un arôme agréable … Oppressé, sois à nouveau apaisé ! Ici se trouve l'eau pour les coups … Ton esprit, Telepinu … Sois favorablement disposé envers le roi !

Ici se trouve du galaktar. Que ton esprit sois apaisé ! Ici se trouve de la céréale parhuena. Que tes entrailles soient calmes ! Ici se trouve une noix shamamma. Que … sois imprégné d'huile ! Ici se trouve une figue. Tout comme la figue (est) douce, que de même ton esprit Telepinu, s'adoucisse ! Tout comme l'olive a de l'huile à l'intérieur (et) tout comme le raisin sec a du vin à 'lintérieur, toi, Telepinu, aie de même le roi en faveur dans ton esprit (et) dans ton cœur ! Ici se trouve la plante liti-. Que ton esprit, Telepinu, oigne ... . Tout comme le malt (et) le pain de bière s'allient par nature, que de même ton esprit, Telepinu, s'allie aux mots des mortels ! Tout comme l'épeautre (est) pur, que de même l'esprit de Telepinu soit (à nouveau) pur ! Tout comme le miel est doux, tout comme le berre clarifié est mou, que de même l'esprit de Telepinu soit adouci, qu'il soit gentil de même !

Je viens d'asperger tes chemins d'huile fine, Telepinu ! Viens sur les chemins aspergés d'huile fine, Telepinu ! Que la plante shahi- (et) l'arbre happurriyasha soient le devant. Tout comme le roseau (et) l'arbre lazzai- (sont bien) disposés, de même toi Telepinu, sois (bien) disposé !

 

Intervention de la déesse de la magie Kamrushepa. Le texte passe à la première personne :

 

Telepinu vint, furieux. Il tonna de ses éclairs. Il frappait la terre sombre. Elle le vit, Kamrushepa, et elle remua une aile d'aigle, puis elle l'arrêta, la colère. Elle l'arrêta, le courroux. Elle arrêta la faute, elle arrêta la rage.

Kamrushepa dit ensuite aux dieux : « Dieux ! Allez maintenant faire paître les moutons du Soleil pour Hapantali ! Sélectionnez douze moutons mâles et je traiterai le warku- de Telepinu ».

J'ai pris un panier à mille trous et j'ai versé dessus du grain karash, (c'est-à-dire) les moutons mâles de Kamrushepa. J'ai fait un feu au dessus de Telepinu d'un côté et j'ai fait un feu de l'autre côté. J'ai retiré du corps de Telepinu le mal, j'ai pris sa faute, j'ai pris sa colère, j'ai pris son courroux, j'ai pris son warku-, j'ai pris la rage.

 

Telepinu est en colère. Son esprit (et) ses entrailles ont été étouffés dans les broussailles. Tout comme on a brûlé ces broussailles, que la colère, le courroux, la faute (et) la rage de Telepinu brûlent de même ! Tout comme le malt est stérile – on ne l'empore par dans le champ et on n'en fait pas de la semence, on n'en fait pas du pain, on ne (le) place pas dans l'entrepôt – que de même la colère, le courroux, la faute (et) la rage de Telepinu deviennent inopérants !

Telepinu est en colère. Son esprit (et) ses entrailles sont un feu brûlant. Tout comme ce feu s'éteint, que de même s'éteignent (sa) colère, (son) courroux (et sa) rage !

Telepinu abandonne (ta) colère, abandonne (ton) courroux , abandonne (ta) rage ! Tout comme l'eau d'un conduit ne coule pas en arrière, que de même la colère, le courroux (et) la rage de Telepinu ne reviennent pas !

 

Les dieux (se trouvent) sous l'aubépine, au lieu de l'assemblée. Sous l'aubépine, les longs …. Tous les dieux s'y assoient : Papaya, Ishtushtaya, les déesses Gulshesh (et) les déesses-mères, Halki, Miyatanzipa, Telepinu, la divinité tutélaire, Hapantali (et) … -mi.

Aux côtés des dieux j'ai traité rituellement les figurines des longues années et je l'ai purifié (= Telepinu).

… J'ai retiré le mal du corps de Telepinu. J'ai retiré sa colère, j'ai retiré son courroux, j'ai retiré sa faute, j'ai retiré sa rage, j'ai retiré la langue mauvaise3, j'ai retiré le mauvais … nom …

 

Tu (= l'aubépine, en tant que portail purificateur) le tires par le poil de son cou. Le mouton passe à travers toi. Tu le tires par sa toison. (De même), tire (hors de) Telepinu la colère, le courroux, la faute (et) la rage !

Le dieu de l'Orage vient, furieux, et l'homme du dieu de l'Orage l'arrête. Le pot vient (à ébullition) et la cuillère l'arrête. Par la suite, que de même mes paroles, à moi, le mortel, arrêtent la colère, le courroux (et) la rage de Telepinu !

 

Rituel d'expulsion du mal, envoyé aux enfers :

 

Que partent la colère, le courroux, la faute (et) la rage de Telepinu ! Que la maison les abandonne ! Que le pilier médian les abandonne ! Que la fenêtre les abandonne ! Le pivot de porte. Que la cour intérieure les abandonne ! Que le portail les abandonne ! Que le portique d'entrée les abandonne ! Que la route du roi les abandonne ! Qu'ils n'aillent pas au champ fertile, au jardin, à la forêt ! Qu'ils prennent le chemin de la déesse Soleil de la terre !

Le portier ouvrit les sept portes, il retira les sept verroux. En bas, dans la Terre Sombre, se trouvent des récipients palhi- en bronze. Leurs couvercles (sont) en plomb, leurs verrous (sont) en fer. Ce qui y entre n'en sort plus. Il périt à l'intérieur. Qu'ils prennent en (eux) la colère, le courroux, la faute (et) la rage de Telepinu et qu'ils ne ressortent plus !

 

Télépinu accepte de rentrer et de prendre soin du pays :

 

Telepinu retourna à sa demeure et il prit (à nouveau) soin de son pays. Le brouillard abandonna la fenêtre, la brume abandonna la maison.

Près des autels, les dieux furent rétablis. (Dans) le foyer, il laissa les bûches. Dans l'enclos, il laissa les moutons. Dans l'étable, il laissa les bœufs La mère reconnut son enfant, la brebis reconnut son agneau, la vache reconnut son veau.

Telepinu (reconnut) le roi (et) la reine. Il prit soin d'eux dans (leur) vie, vigueur (et) longévité. Telepinu prit soin du roi.

 

Motif de la gibecière :

 

Devant Telepinu se trouve un arbre eya-. À l'arbre eya- (est) surpendue une gibecière kursha- en (cuir de) mouton. Dedans se trouve la graisse de mouton. Dedans se trouvent le grain, Sumuqan (= Miyatanzipa, dieu de la végétation et des troupeaux) (et) le vin. Dedans se trouve le gros (et) le petit bétail. Dedans se trouvent les longues années (et) le pouvoir de procréation. Dedans se trouve le doux message de l'agneau. Dedans se trouvent la concorde (et) l'obéissance. Dedans idem pour le divin. Dedans se trouve la cheville droite. Dedans se trouvent... .

Cassure

Traduction d'après A. Mouton, LAPO 21, p. 458-483

 

1 Le motif de l'appel à l'aide de l'homme se trouve aussi dans le Mythe du Dragon et du Dieu de l'Orage.

2 Allusion à un rituel hittite qui consiste à prendre une aile d'aigle pour ôter la colère divine.

3 Sorte de mauvais œil.

Tag(s) : #Hittites, #rituel, #Mythologie
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